• L'irracontable

    Je voulais raconter ce qui était arrivé à notre famille cet automne, je voulais mettre des mots...
    Mais comment raconter l'irracontable ?

    Comment raconter la journée du 6 octobre, le chéri qui enchaîne médecin, labo, scanner, urgences... Et moi, dans l'attente et l'angoisse, à me répéter sans cesse "ce n'est peut-être rien..." pour me rassurer.

    Comment raconter cette journée du 8 octobre où, sur le pas de la porte, devant les filles qui jouent gaiement au pied de notre immeuble, il pose les mots "lymphome" et "chimiothérapie" sans réaliser qu'il s'agit d'un cancer... Mon insistance pour lui faire prendre conscience que oui, c'en est un, devant nos filles qui ne comprennent rien. Encaisser, s'enlacer, puis leur expliquer avec des mots simples, se voulant rassurants mais sans minimiser...

    Comment raconter cette semaine d'allers-retours à l'hôpital pour lui, ces examens à n'en plus finir, essayer de s'organiser pour l'accompagner au moins une fois, en espérant rencontrer le docteur, et tout qui s'annule par un simple sms : pas d'accompagnateur, merci. Décommander la baby-sitter en ravalant les larmes.

    Et comment raconter cette journée du 15 octobre, cette hospitalisation d'urgence après un examen, son appel le soir pour m'expliquer qu'en fait il ne sortira pas avant cinq semaines au moins... Encaisser encore. Coucher les filles, puis m'effondrer.

    Encaisser, encaisser, presque chaque jour. Son transfère en réa, même s'il ne s'agit "que de surveillance", le changement de diagnostique, beaucoup moins rassurant, les risques associés, la prise de conscience de son état de santé l'été dernier, l'arrêt de tous ses projets professionnels et artistiques, l'annonce à notre entourage proche et moins proche... Et là, une vague d'amour et de soutien qui nous engloutit. Reprendre des forces, enfin. Laisser les filles à mes parents et le rejoindre, aller le voir à l'hôpital, découvrir son air hagard, lui tenir la main, le sentir se détendre enfin. Tout va bien aller... ♥

    Rester des heures à discuter dans cette chambre d'hôpital, lui lire des articles, le regarder dormir, parler encore et encore, regarder par la fenêtre le soir qui descend doucement, changer de blouse et de masque après avoir fait une "pause", dans une salle à part, pour manger un encas, rire et parler encore, sans se lâcher la main. Puis rentrer à la maison, seule, le réservoir affectif rempli, le sourire aux lèvres. Essayer de prendre soin de soi, de se cocooner pour reprendre des forces et de l'énergie, essayer de manger, même si ça ne passe plus, profiter d'être seule pour se prélasser dans le bain, mais être en proie aux angoisses dès que l'oeil se ferme. Ne pas dormir alors que les filles ne sont pas là et que je n'allaite plus toute la nuit comme quelques jours auparavant... Se précipiter dans une pharmacie au bout de trois nuits pour survivre à ces insomnies et dormir, enfin.

    Comment raconter le sevrage de la mini qui n'est pas vraiment choisi, ce sevrage forcé pour elle et moi ? Les différentes étapes qui ont menées à ce changement, ses larmes et les miennes, le manque d'ocytocine, ce creux dans la poitrine ? J'y reviendrai plus tard...

    Mais comment raconter l'annonce de l'arrêt des visites à l'hôpital, dû au confinement ?! Se sentir chacun de notre côté comme abandonné... Laisser la tristesse nous envahir puis s'apaiser, accepter. S'appeler, chaque jour, même quand il n'en a pas la force, même une seule minute, parfois vingt quand ça va bien. Savoir que c'est un jour difficile quand il ne regarde pas les photos des filles que je lui envoie. Et prendre sur soi, se dire que ça ira mieux demain, peut-être, ou pas...

    Mais toujours garder en tête que ce n'est qu'une période, que ça passera. 

    Se focaliser sur le mois d'avril, lorsque le printemps sera là, lorsque nous fêterons les anniversaire des filles et qu'il aura sa toute dernière hospitalisation. C'est un marathon, mais qui a une fin. Parce que la bonne nouvelle c'est qu'on peut déjà parler de rémission. Rémission ne veut pas dire guérison, mais le traitement fonctionne et en allant au bout, il sera guéri. Et nous pourrons envisager de nouveau tout ce qui nous nourrit : faire du vélo en famille, jouer, faire des acrobaties et des batailles de chatouilles, aller au parc, ou prendre le train pour revoir des amis (on croise les doigts). Mais surtout, nous pourrons le revoir monter sur scène ♥

    Notre réalité a beaucoup changé, vous l'aurez compris. Je me suis arrêtée de travailler pour l'instant, car il m'était impossible de tout mener de front sans risque de m'effondrer, je dois le dire honnêtement.
    De presque zéro déchet, nous sommes passés à la nourriture emballée, parce qu'on ne va pas se mentir, avoir les mains dans la farine me fait très plaisir, mais c'est aussi parfois une charge mentale supplémentaire. Alors notre frigo qui était presque vide auparavant est plein de gnocchis, pâte brisée, fromage râpé, petits suisses etc... Et tant mieux, c'est ça de moins à penser, on fera mieux quand on le pourra.
    Le soutien s'est aussi organisé et nous sommes rarement seuls pendant 24h. Quand nous n'avons pas un parent ou une amie qui vit chez nous quelques jours, l'aide se met en place pour ce qu'on appelle "le marathon du soir". Vous savez, l'enchaînement délicat du bain-préparation du repas-repas-les dents-l'histoire-au lit. Avec la mini qui dort beaucoup trop à la sieste de la crèche, ça peut durer parfois cinq heures... Dur. Alors le voisin ou la baby-sitter qui viennent offrir leur aide gracieusement, on les aime fort ! ♥

    Notre nouveau quotidien, c'est aussi un abonnement à la pharmacie et aux taxis VSL, un pilulier à remplir toutes les semaines, faire face à la douleur intolérable, aux cheveux dans la douches, à une morphologie mise à mal et qui change sans arrêt,  c'est la peur du covid et de toutes les maladies et infections qui trainent, faire vacciner toute la famille contre la grippe, être intransigeants sur le port du masque et le lavage de main, encore plus qu'avant...

    Mais c'est aussi savourer chaque petite chose positive : une bonne nuit, un bon repas, rire de son envie de cornichons aigre-doux, regarder une série collés sur le canapé quand il est à la maison, se réjouir de le voir reprendre des forces, se lever et participer à la vie de la maison, lire des histoires aux filles sous la couette, crocheter des balles de jonglage pour les prochaines commandes... :)

    Je ne savais pas comment raconter notre histoire, mais je crois que je l'ai bien résumée. Notre vie va encore aller cahin-caha pendant quelques mois, puis ce sera derrière nous. Et en attendant, la maison se remplit de nos décos de Noël, les filles font toujours autant de cabanes et de cabrioles, chantent et jouent. Alors on va profiter de chaque bonheur, même le plus infime.

    ♥ Prenez soin de vous et de vos proches ♥

    - Lilaluna -

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  • Commentaires

    1
    Mardi 8 Décembre 2020 à 21:30

    je n'ai pas de réaction intéressante à partager, mais je vous envoie juste plein de pensées douces ... !

      • Vendredi 11 Décembre 2020 à 10:12

        Rien que ça, c'est déjà beaucoup ♥

    2
    Aude
    Jeudi 10 Décembre 2020 à 21:22

    Bonjour,

    Je vous souhaite à tous et à chacun beaucoup de courage pour traverser cette immense épreuve. A vous lire, du courage, vous n'en manquez pas.

    Je vous souhaite également, malgré tout, de passer, d'aussi belles fêtes que possible.

    Aude

      • Vendredi 11 Décembre 2020 à 10:15

        Merci beaucoup pour ces mots, on va tout mettre en œuvre pour que ce soit un joli Noël, même s'il faut attendre un jour de plus son retour de l'hôpital pour pouvoir le fêter ensemble, ça ne changera rien à la magie qu'on y mettra ! :)

        Bonne fêtes de fin d'année également ♥

    3
    Line
    Vendredi 25 Décembre 2020 à 11:05
    Encore plus émouvant à lire après coup...
    Plein de courage à tous les 4 et profitez bien de tous les petits plaisirs de la vie :-) Bisous
      • Mardi 12 Janvier 2021 à 10:09

        Comme celui de recevoir la carte de voeux des copains ? ;)
        Bisous

        ♥♥♥

    4
    Sandra
    Lundi 18 Janvier 2021 à 18:36

    Juste de passage sur ce blog repéré en mis en favori il y a peu...

    Tout mon soutien comme une des ces anonymes qui passent parfois.

    On a connu ça pour notre petit loup, alors évidemment je ne peux pas passer et rester silencieuse!

    Courage! Prenez ce qu'il y a à prendre d'intensité et de sens de la vie. Et le droit de craquer aussi...

    Hauts les coeurs!!

    (et merci pour ce qu'on trouve sur ce blog ;)

    5
    Aléna
    Vendredi 26 Janvier à 20:41

    Je tombe par hasard sur votre blogue ce soir, je cherche à faire une couronne feutrée ... et puis je me prends au jeu de vous lire. Les larmes ont beaucoup coulées en vous lisant, j'espère que maintenant tout cela est derrière vous. C'est une de mes hantises de vivre cela.

    Avec mon amitié,

    Aléna

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